Pavage de galets en granit bleu
murailles de pierres sèches
le sentier court et longe le pré jaune
la corneille fouaille les labours
l'alouette et le traquet moteux
visitent les sous-bois
parterre de feuilles biscuitées
le vent râcle la lande automnale
avant de prendre le large
vers les espaces nus
d'un impossible hiver
M. Ebneter, pouvez-vous nous dire quelles sont les circonstances dans lesquelles Rilke a découvert le Valais?
Après une première visite à Sion et à Sierre en 1920, en compagnie de Baladine Klossowska, Rilke y retourne en 1921, venant de Genève. Il logera à l’Hôtel Bellevue (Sierre). A ce moment-là, il est à la recherche d’une demeure appropriée, offrant la solitude nécessaire à l’achèvement d’une œuvre maîtresse, les Élégies de Duino commencées en 1912. A Sierre, il est tenté par la tour de Goubing, toutefois déjà occupée par la famille de Rham. Rilke et Baladine sont sur le point de quitter Sierre quand ils découvrent, dans une vitrine, une annonce disant: «Château à vendre ou à louer». Il s’agit de Muzot qui offre peu de confort (ni eau courante ni électrictié, poêle en pierre ollaire). Après des hésitations du côté de Rilke et des tractations avec la famille, le poète décide de faire un «essai d’habitation» dans ce qu’il appelle aussi un «harnais». Il compte y rester trois mois, au plus… Il y sera finalement jusqu’à la fin de sa vie en 1926, avec toutefois quelques séjours en dehors du Valais (notamment Bad Ragaz, ainsi que Paris en 1925), sans compter ses différents séjours à la clinique de Val-Mont sur Montreux, à partir de 1923.
Quels éléments ont touché le poète de prime abord?
La beauté des paysages, p.ex. la «broderie» des vignobles autour de Saxon, les montagnes ressemblant à des gobelins, le charme du XVIIIe siècle qui semble conservé dans ces contrées. Il est fasciné par les espaces qui s’ouvrent et se transforment au fur et au mesure qu’on remonte la vallée, par le jeu d’échecs des collines dans le Valais central. La flore et la faune et d’autres éléments lui évoquent la Provence et l’Espagne. Le Rhône relie ce pays à la France où il a connu ses années les plus fécondes. La «lumière vibrante, légère et spirituelle» du Valais fait penser à celle de l’Île-de-France. Ce qui lui parle, c’est ce mélange de nature cultivée et de nature sauvage, un paysage dur qui sait se faire tendre dans les vergers, les prés, les vignes et les champs (qui existent encore). Les hauteurs qui ne sont que pâturages (Montana, Mayens-de-Sion) n’ont rien à lui dire, en revanche. Il ne visitera aucune vallée latérale, si l’on excepte une petite excursion à Loèche-les-Bains qui ne laissera guère de traces.
On peut dire qu’il appréciait en premier lieu la plaine du Rhône et les bas coteaux, les vignes, les vergers, les collines, le Rhône, le bois de Finges…
Quelles relations le poète praguois a-t-il entretenu avec les Valaisans? S’en est-il approché ou a-t-il vécu dans une sorte de tour d’ivoire?
Il montre du respect pour les villageois et entretient des relations amicales avec un certain nombre de familles. Parmi celles-ci, on peut citer Jeanne de Sépibus et son mari, la famille de Chastonay, Henri Détraz (directeur Alusuisse), mais aussi Mme Imwinkelried à Venthône (qui s’occupait de la chapelle de Muzot) ou le jeune Henri Gaspoz de Veyras qui sera son petit bonhomme à tout faire; il fend son bois, amène son courrier à la poste, etc.
Rilke recevait aussi un grand nombre de visiteurs venus de l’extérieur, comme Paul Valéry, Rudolf Kassner ou la princesse Marie de la Tour et Taxis, pour ne citer que trois noms. Son réseau de connaissances était très vaste et s’étendait à travers l’Europe.
Rilke a-t-il développé des liens directs avec les artistes et la culture de notre canton?
Rilke connaissait quelques artistes comme Edmond Bille (et sa fille Corinna), Charles-Clos Olsommer. C’est d’ailleurs une visite dans l’atelier du peintre Alexandre Blanchet, à Genève, qui avait incité Rilke et Baladine à venir en Valais. Blanchet avait peint des scènes valaisannes (Marché à Sion; Vendanges en Valais). Rilke connaîtra aussi Alice Bailly, peintre, qui lui rendra visite durant le séjour qu’elle fait à Sierre. Rilke se demande pourquoi le Valais, pourtant si beau, n’a pas produit davantage de peintres et de poètes. Il découvre le recueil de Louis de Courten (1880-1903), intitulé La Terre valaisanne. Il se rend aussi aux Archives d’Etat et à la bibliothèque afin d’y étudier ou d’emprunter nombre d’ouvrages sur l’histoire du Valais, ses lieux, ses monuments et sa noblesse. De larges extraits manuscrits sont conservés.
Rilke est un grand promeneur. Il connaît bien la Noble-Contrée et monte souvent à Anchettes, à Venthône, à Vercorin. Il aime la chapelle de Corin, il se promène dans le vignoble des Bernunes (près de Miège) et dans la forêt de Finges, muni de son carnet de notes. Il va à pied jusqu’à Loèche-Ville (par Varone). Il visite Sion et ses collines (à maintes reprises), mais aussi St-Pierre-de-Clages ou Rarogne.
Il admire les villages et leur architecture, même si les maisons, y compris celles de la noblesse, sont souvent pauvres et délabrées.
Quels thèmes, paradigmes, éléments inédits, le Valais a-t-il apporté à la poésie de Rilke?
Il le compare plutôt à des contrées visitées antérieurement, comme la Provence, l’Espagne, la vallée du Nil. Il n’est guère attiré par la montagne en tant que telle. Celle-ci l’intéresse dans la mesure où elle contribue à former, à délimiter des espaces. Il est sensible au jeu des lumières et des ombres sur les coteaux, aux couchers du soleil, aux couleurs du ciel.
On peut citer aussi le «peuplier à sa place juste», les cascades, les tours, les vergers, la vigne, les collines, le Rhône, etc. Tout cela se reflète dans sa poésie. Mais à ce stade de sa vie et de son œuvre, Rilke n’est plus vraiment à la recherche d’un paysage nouveau, d’impressions inédites. C’est plutôt une saison de «récolte», de concentration de tout ce qui a pu le marquer au fil de sa vie.
Ceci dit, on retrouve sans doute quelques traces du Valais dans les Élégies de Duino ou dans les Sonnets à Orphée, mais surtout dans ses poèmes paysagers, qu’ils soient allemands ou français. Puis, bien entendu, dans ses receuils en langue française tels que Vergers ou Les Quatrains Valaisans; ces derniers sont un véritable hommage au pays qui lui a permis l’achèvement des Élégies.
Sans oublier son abondante correspondance, de haute qualité littéraire, dans laquelle il ne cesse de faire l’éloge du Valais.
Cette exposition est-elle appelée à se développer?
C’est une exposition permanente. La partie audio et vidéo peut évoluer, mais à part cela, elle restera probablement inchangée pour quelque temps. Ce qui n’exclut pas des expositions thématiques qui pourraient s’ajouter temporairement, ou l’organisation de petits colloques.
Nous envisageons par ailleurs une publication sur le thème de l’exposition, une sorte d’anthologie composée de poèmes et d’extraits de lettres de Rilke en lien avec le Valais. Un dossier pédagogique à l’intention des écoles à été mis en ligne, et des visites guidées seront organisées.
Une exposition permanente nous fait découvrir actuellement le regard qu’a porté le poète Rilke sur notre canton où il a séjourné entre 1921 et 1926. Un itinéraire passionnant que nous fait savourer le conservateur de la Fondation Rilke à Sierre, Curdin Ebnter, que nous avons rencontré. A noter que ce dernier a été épaulé par Sarah In-Albon, coordinatrice de l’exposition.
Curdin Ebneter, responsable de la Fondation Rilke jmt
Folle chevauchée dans les steppes
espaces de vent et de sources fraîches
âmes sauvages
les transparences de la lumière
construisent
un infini de formes et de couleurs
soleil blanc
le rêve s'estompe
j'ais soif de vie