Société valaisanne des écrivains
Quelques souvenirs et considérations subjectives…
La Société des écrivains valaisans fête cette année ses cinquante ans. Un long voyage au fil du temps avec ses flux et ses reflux, ses méandres, ses emportements, ses eaux parfois aussi un peu stagnantes et ses brillances, souvent. La Société a vu défiler un nombre de pionniers et de grands écrivains à sa tête, parmi lesquels Jean Follonier, Maurice Zermatten, Germain Clavien, Jacques Tornay….
Une image large et traditionnelle
Depuis le début la SEV s’est attachée à donner une image plurielle et très complète de ce qui se faisait en Valais au point de vue littérature. Avec Jean Follonier, Maurice Zermatten, Pierre Courthion… le public et les lecteurs ont appris à travers des conférences à découvrir un pays attaché à ses racines sociétales profondes, avec une imprégnation solide et authentique des paradigmes religieux et traditionnels. Contes, légendes, histoires à connotation existentielle et patrimoniale, autant de voies sur lesquelles les écrivains du XXe siècle se sont penchées en Valais. Certes il n’y avait pas beaucoup d’auteurs à vivre de leurs plumes à part peut-être Maurice Métral ou Zermatten, mais qui étaient également professeurs ; aujourd’hui d’ailleurs, le problème est demeuré le même et il est difficile de survivre financièrement si l’on n’est pas enseignant ou journaliste, ou libraire, ou encore imprimeur.
Une nouvelle vague
Vers les années 80 sont venus sur le devant de la scène des écrivains d’une autre génération qui ont adhéré peu ou prou à la Société des écrivains. Les thématiques qu’ils ont abordé collaient à une évolution de la société, de ses mœurs, de son modus vivendi, de ses enjeux économiques et philosophiques aussi : l’on vit ainsi apparaître Jean-Marc Lovay, un véritable ovni dans les lettres valaisannes, avec des réseaux narratifs parfois incompréhensibles ou en tout cas touffus et baroques pour le commun des lecteurs, un écrivain qui a bouleversé les codes, les repères syntaxiques, la composition narrative, avec des accumulations de phrases , parfois sans fin, et qui paraissent nous conduire dans des univers insondables : les cycles temporels et spatiaux y sont chamboulés, les objets parlent, le situations s’imbriquent et se défont, les dimensions explosent, une vraie et inédite manière d’appréhender la littérature. Certains critiques voient même en lui, l’un des écrivains majeurs de la francophonie de son époque. Et ceci malgré le nombre restreint de ses lecteurs, sa prose poétique, étant difficile d’accès : il faut en effet se laisser emporter par le flot des images, des respirations, des rythmes, des couleurs, des ondulations poétiques qui nous portent dans une sorte de musique lancinante. Jean-Marc Lovay, un écrivain « hors des clous » qui fait figure d’artiste hors normes et très prisé par les critiques.
Germain Clavien, dans un style plus classique, avec une narration et une temporalité plus linéaires, a lui aussi marqué la SEV et la littérature valaisanne. Son œuvre littéraire a démarré avec « Les moineaux de l’Arvèche » et aussi avec de la poésie « Montagne et mer » saluée à l’époque par Marcel Raymond et Philippe Jaccottet. Puis Germain Clavien s’est attelé à une longue série intitulée « Lettre à l’imaginaire » avec plus de vingt volumes parus au fil du temps, relatant les faits quotidiens qui se passaient dans sa région, le Valais, avec des romans à clefs qui reprenaient plus ou moins des faits réels : des quantités de surnoms furent ainsi inventés et l’on pouvait reconnaître les personnes réelles derrières les noms fictifs, avec bien sûr un style personnel dans la narration et l’appréciation des péripéties racontées. Les gens pouvaient ou essayaient de se reconnaître dans les romans de Clavien, et cela a parfois donné lieu à des polémiques locales, notamment avec les politiciens et les journalistes locaux.
Dans cette nouvelle génération d’écrivains arrivés après les trois Maurice, Chappaz, Métral, Zermatten… on peut aussi citer Adrien Pasquali. Ce dernier n’a eu que peu de relations avec la SEV car il travaillait à l’Université de Genève : un être avec une sensibilité à fleur de peau, déchiré, avec une grande faille intérieure, et qui doutait un peu de lui-même malgré un grand talent d’écrivain. Il a d’ailleurs commis de multiples écrits sur Charles-Ferdinand Ramuz. Originaire de Fully il avait fait ses études à l’Université de Fribourg, notamment avec le professeur émérite Jean Roudaut, une éminence en littérature française.
Un président entreprenant
Germain Clavien fut pendant une trentaine d’années président de la SEV : son souci fut de mettre sur pied chaque année, des lectures publiques, des récitals, des concours pour les jeunes écrivains de notre canton : plusieurs jeunes écrivains en herbe qui ont été lauréats aux Prix de la SEV ont d’ailleurs « fait carrière » ou ont tout au moins poursuivi leur démarche littéraire. Parmi eux nous pouvons citer Bastien Fournier, Arnaud Maret, Virgile Pitteloud, Philippe Lamon…. Et bien d’autres. Parallèlement des prix de la Loterie romande furent distribués chaque année, couronnant des œuvres de parution récente ; on a ainsi distingué par exemple, Alexandre Jollien, Andrée Pfefferlé, Alain Bagnoud, Vital Bender, Ronald Fornerod, Philippe Favre… Des brochettes d’écrivains qui, grâce à une forme de reconnaissance publique et une aide financière ont pu avancer dans leur travail littéraire. Avec les aides aux publications mises sur pied par Clavien et son comité, de nombreuses publications ont également pu voir le jour. Les éditions Monographic ont ainsi publié des ouvrages de plusieurs poètes valaisans, comme Jacques Tornay, JMT, Roselyne König, Roland Delattre, Vital Bender…
Les conférenciers
Une autre initiative importante de l’activité de la SEV initiée par Germain Clavien fut les conférences organisées annuellement. Les amateurs de lettres valaisans virent ainsi défiler dans des séances de lecture et de rencontres Anne Perrier, Maurice Chappaz, Maurice Zermatten, Georges Borgeaud, Agota Kristov, les philosophe Jeanne Hersch, Jean Romain… Des instants de partage, d’émotion, de rencontre entre les écrivains et les lecteurs, des moments privilégiés et que l’on a peu ou passez souvent l’occasion de connaître.
On se souvient de la douceur de Georges Borgeaud, de son amabilité, de son entregent, de sa culture sans limites, lui qui vécut à Paris, mais de façon discrète et réservée. Sa venue à Sion avait ému le public venu nombreux pour rencontre un homme pour qui l’écriture comptait tant, habitait toute sa vie. L’écrivain nous a ainsi parlé de Saint-Mauricequi a inspiré « Le préau » de « La vaiselle des évêques » et de nombre de ses livres si humains et fluides.
Maurice Chappaz, nous l’avons reçu à Sierre et avons eu l’honneur de souper avec lui après la causerie que l’AVE avait organisée. Maurice Chappaz s’est montré très ouvert et nous avons partagé des moments forts : il nous a notamment entretenu de ses expériences à la Grande-Dixence comme aide-géomètre, une époque de découverte et de complicité avec les travailleurs, mineurs, ingénieurs venus d’Italie et d’ailleurs. L’écrivain du Châble nous a également parlé des inscriptions des élèves du collège de Saint-Maurice qui avaient causé une grosse polémique dans le journal Le Nouvelliste, avec la parution des « Maquereaux des cimes blanches »… Le livre de Chappaz avait réveillé les esprits qui se battaient contre un bétonnage des Alpes et un progrès qui dévorait le paysage…
Maurice Zermatten nous a pour sa part remémoré le fil de sa carrière et ses démêlés avec la Société suisse des écrivains dans les années 60 dont il a avait été le président. Il avait en effet traduit un petit livre sur l’esprit civique et les devoirs du citoyen. Maurice Zermatten, écrivain catholique, accordait une grande admiration pour Paul Claudel , François Mauriac, Maurice Barrès… des attachements qui lui ont parfois causé des problèmes avec d’autres écrivains suisses.
Agota Kristof, une grande écrivaine, avait elle aussi donnée une causerie pour l’AVE, à Sierre plus précisément. Si son œuvre est émouvante et forte, sa venue dans la cité du Soleil avait un peu déçu car il ne s’était pas créé de lien fort entre elle et le public présent. LA cause, une certaine réserve et froideur apparente, que l’on eût pu prendre pour de la distance…. Une impression seulement, peut-être…
Anne Perrier fut également invitée par l’AVE : une soirée particulièrement émouvante avec une auteure tout de douceur, tendresse et délicatesse. Anne Perrier qui est décédée cette année à Saxon nous avait en effet offert une causerie, ou plutôt une rencontre faite de complicité et de partage avec le public. Son univers poétique est en effet très profond et simple à la fois, et l’écrivaine a su nous communiquer sa sensibilité à la nature et à l’importance de la vie intérieure : une foi en la Vie, en un Dieu de bienveillance, de grandeur et de générosité.
Voilà quelques moments privilégiés qui me sont revenus en pensant à cette longue trajectoire au sein du comité de la Société Valaisanne des Ecrivains, une association qui s’ouvre maintenant vers de nouveaux horizons.
Jean-Marc Theytaz
Journaliste et poète
(Membre du comité de la SEV)