Un prix Interallié 2010 pour «L’amour nègre», c’est une consécration internationale pour l’écrivain romand Jean-Michel Olivier. Après Charles Lewinsky, Matthias
Zschokke, Claude Alain Sulzer la Suisse francophone gagne des galons ces deux dernières années; il aura fallu attendre l’espace d’une génération pour que les exemples de Jacques Chessex, Georges
Borgeaud... trouvent des héritiers dans le rayonnement la littérature romande.
1. Jean-Michel Olivier, on sent le temps et l’espace s’agrandir, la vie devenir plus douce lorsque l’on reçoit un tel prix, si prestigieux ?
—En même temps que l’espace s’agrandit, la vie s’accélère, on rencontre beaucoup de monde, le plus souvent très bien attentionné, d’ailleurs. Mais cette farandole, si elle est douce et légère,
donne aussi le vertige ! Sans parler des attentes de l’éditeur, des lecteurs, des journalistes…
2.Vaud et Genève se disputent maintenant l’écrivain Jean-Michel Olivier. Êtes-vous tout simplement trans-lémanique?
— Comme vous le savez, ma mère est italienne et mon père était vaudois. Ma famille n’a cessé de bouger, avant de s’établir à Genève, où j’ai fait mes études et écrit la plupart de mes livres.
Mais au contre de cette vie, il y a le lac, qui est notre «petite mer intérieure», disait Ramuz. Je ne pense pas être d’un canton plutôt que d’un autre: mais un écrivain lié au lac et aux
fleuves. Comme à la mer, d’ailleurs…
3. On vous considère aujourd’hui comme l’un des meilleurs écrivains romands de votre génération. Le Prix que vous avez reçu est-il déjà en train de vous donner des ailes parisiennes?
— Oui, l’un des bonheurs de ce Prix, c’est d’ouvrir des portes, de faire tomber des murs, de traverser toutes sortes de frontières. Invisibles, mais bien réelles. Comme celle qui existe entre la
Suisse romande et la France, par exemple. En me récompensant, les jurés de l’Interallié voulaient sortir du microcosme parisien, prendre du recul et respirer un peu l’air du large, me
semble-t-il. Et ils ont aimé L’Amour nègre parce qu’il faisait le tour du monde et se jouait des frontières…
4. «L’amour nègre» est une satire, une comédie chez nos people modernes, qui nous fait découvrir aussi un monde de plus en plus globalisé qui tombe dans les travers humains plus archaïques.
Comment vivez-vous les changements sociétaux contemporains?
—J’essaie de décrire, avec le recul de l’humour et de la satire, un monde qui part dans toutes les directions. Un monde fascinant, imprévisible, constamment en mouvement, comme les couches
telluriques ou les océans! Qui aurait pu prévoir, par exemple, les soulèvements populaires dans les pays arabes? Pourquoi ont-ils lieu aujourd’hui? Et là-bas? Je crois que c’est l’un des effets
(positifs) de la globalisation de l’information (Internet, Facebook). Mais aussi le résultat de cette mondialisation désastreuse qui élargit sans cesse le fossé entre les peuples, et creuse les
inégalités dans chaque pays. C’est aussi cela que j’ai essayé de décrire dans mon roman.
5. Vous pratiquez avec bonheur la littérature mais appréciez aussi beaucoup le football, l’art musical. Qu’est-ce que ces langages artistiques et sportifs évoquent-ils chez vous?
— Ces trois arts (car le football est un art!) ont en commun, pour moi, de faire la part belle au jeu. Écrire, c’est jouer avec les mots. Comme faire de la musique, c’est jouer avec des notes. On
dit d’ailleurs «jouer de la musique». Et l’essence même du foot, c’est le jeu. Avec le ballon et avec les autres. C’est pourquoi ces trois arts sont universels: on écrit chez soi, à partir de
soi, mais pour les autres. On ne sait jamais pour qui l’on écrit. Mais il y a toujours un œil et une oreille pour vous lire quelque part…
6. Esprit d’ouverture, finesse d’écriture, gravité et légèreté, l’écrivain que vous êtes se sent bien dans ses livres...?
— À chaque livre, comme un artisan, j’essaie de faire mieux que le précédent. Mieux, cela veut dire trouver la forme adéquate à ce que je veux exprimer ou suggérer. C’est tantôt le récit, tantôt
le roman, tantôt la satire ou le conte philosophique. Ce bonheur, cette adéquation, n’arrive pas à chaque fois. Mais lorsqu’elle se produit, c’est toujours un petit miracle. Et un grand bonheur.
Mais il ne faut pas oublier que c’est toujours le lecteur qui a le dernier mot!